Les règles d’or de la communication de crise

4 940 000. C’est le nombre de résultats que vous obtenez quand vous lancez une requête « Communication de crise » dans Google. La preuve, s’il y avait besoin d’en donner, que la communication de crise est devenue très tendance. Pour autant, ce qu’il y a d’assez exceptionnel, c’est que tout le monde parle de la communication de crise mais peu de personnes prennent la peine de définir la notion de crise et de souligner l’importance de la communication quand celle-ci éclate. Ça tombe bien, c’est le sujet de cet article (qui est le tout premier de ce blog ! 😉 )

NB: Tout au long de ce billet, j’emploie le terme générique d’organisation. Derrière lui, je désigne les entreprises bien entendu mais aussi les associations, collectivités locales… Car la crise, dans sa grande mansuétude, touche toutes les formes organisationnelles.

1. C’est quoi une crise ?
Souvent, pour débarrasser un terme de ces acceptations un tant soit peu galvaudées, il n’est jamais inutile de retourner à son étymologie première. Pour ce qui nous concerne, la crise à une origine grecque (comme bien des mots de notre langue) et elle est directement issu du terme Krisis. Chez les anciens Grecs, la Krisis désigne à la fois la lutte, le choix et la décision. La Krisis grecque met un terme à la Krasis (la confusion).
Crise en entreprise. Ce retour rapide à l’origine du terme de crise, me permets de donner une première définition générale de la crise : une organisation (entreprise privée ou publique, association, collectivité) est dans une situation de crise dès lors qu’elle est contrainte de faire des choix difficiles qui l’oblige à sortir de l’indécision c’est à dire de la confusion. Cette obligation de faire un choix conduit à deux scenarii possibles: soit l’organisation a misé sur les bonnes options et la crise lui permet de rebondir (souvenez-vous du proverbe « ce qui nous tue pas nous rend plus fort« ) soit au-contraire, la crise couplée à son incapacité à prendre les bonnes décisions la pousse vers un scénario catastrophique pouvant aller jusqu’à sa disparition pure et simple.
Quasiment systématiquement, la crise est définie de manière négative, comme je viens de le faire. Il faut l’éviter, il faut la dépasser, il faut éteindre l’incendie avant que tout ne s’embrase. Mais la crise c’est un peu comme la douleur lorsque l’on est souffrant: c’est une information vitale qui nous indique que nous sommes en danger et qu’il faut se soigner. Cependant, une fois rempli cette fonction d’information, la douleur ne nous sert plus et doit être soignée. C’est exactement la même logique avec la crise: elle fait mal mais nous oblige à nous remettre en question, à prendre des décisions, à faire des choix. Une fois qu’on a pris en compte ce qu’elle avait à nous dire, nous devons la dépasser et y mettre un terme au risque de nous mettre en danger.
La crise c’est donc ce moment particulier fait d’urgence, de confusion et de choix. Mais la crise à une deuxième fonction: elle projette l’organisation dans sa dimension historique.
Montesquieu dans Les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1721), définit la crise comme étant une brèche dans l’histoire qui pouvait entrainer la chute d’une civilisation. Son regard est intéressant car il permet, selon moi, de dissocier une crise du simple mauvais moment à passer.
Une crise c’est la remise en cause de l’organisation en elle-même (la forme de crise la plus grave), la remise en cause de son capital réputationnel (son image, sa légitimité) ou enfin de sa capacité à gérer une crise dans laquelle ses clients ou ses usagers sont plongés sans que sa responsabilité ne soit directement engagée. Quelque-soit les caractéristiques de la crise, sa gravité, elle a une dimension historique dans le sens où, une fois passée, elle fera date dans l’histoire de l’organisation. Elle marquera les mémoires, les routines, les modes de fonctionnement. Il y aura un avant et un après-crise.
J’en profite d’ailleurs, au passage, pour faire la distinction entre la crise et le bad buzz . Un bad buzz peut conduire à une crise mais en soit ce n’est pas une situation de crise s’il ne remet pas en question l’organisation, sa légitimité et sa capacité à faire face aux difficultés rencontrées par ses clients ou usagers (cf. La Redoute qui a très bien tiré son épingle du jeu lors du bad buzz de l’homme nu sur une de ses annonces).
Enfin et je m’arrêterai là pour définir la crise, outre sa dimension stratégique et historique, la crise c’est aussi (et surtout) affaire d’interprétation et de sentiment. Cornelius Castoriadis, célèbre philosophe, psychanalyste et économiste français, estime que la crise c’est d’abord le sentiment de la crise. En d’autres termes, ce n’est qu’à partir du moment où l’on qualifie la situation de critique que l’on entre dans une situation de crise. Ce n’est pas le contexte, les faits, les chiffres, qui font seuls la crise (une affaire de corruption qui éclate dans une collectivité, le décès d’un enfant après un déjeuner dans un fast-food) mais le sentiment chez les acteurs concernés par cette crise, qu’ils sont plongés dans une situation exceptionnelle et critique.

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2. Typologies des crises

Cette typologie des crises que je vous propose ci-contre a été conçue par Patrick Lagadec. Elle est, forcément, généraliste, et ne s’adapte pas aux situations particulières de toutes les organisations. Comme toute typologie, elle a tendance à mettre dans des cases, des crises qui ont bien souvent des causes et conséquences multiples. Mais comme on dit, il n’y a pas de mauvais outils, il n y a que des mauvais ouvriers ! Cette typologie à au moins le mérite d’être large et de dresser selon moi une liste intéressante des sources de crises possibles pour une organisation : interne, externe, technologiques, économiques, humaines…

3. Les fondements d’une bonne gestion de crise

3.1 La gestion concrète de la crise.

Réussir sa gestion de crise ne s’improvise pas

Prévoir et planifier : les maitres mots de la gestion de crise.
Une crise ne se gagne jamais quand on est en plein dedans (ou bien rarement). Une organisation qui arrive à sortir sans perdre trop de plumes, voire renforcée d’une crise, est une organisation qui aura su prévoir à l’avance les causes et conséquences de cette crise. Pour gérer une crise, il faut absolument se concentrer sur deux choses : le recensement des sources possibles de crises (cf. la typologie citée plus haut), les parades et solutions prévues, et l’organisation générale de la communication.
La première chose que toute organisation se doit de faire, c’est de passer en revue, l’ensemble des crises potentielles auxquelles il est probable qu’elle est à faire face un jour. Elle doit mener ce recensement en ayant en tête trois critères: la probabilité de la crise (cette source de crise est elle très probable ou non ?), le risque encouru (si elle éclate devrons nous faire face à des dégâts mineurs ou au-contraire à une remise en cause complète de notre organisation ? ) et enfin la maitrise du risque (avons-nous des solutions pour faire face à cette crise ? Si oui, seront elles satisfaisantes et efficaces ?).
A l’aune de ces trois critères, ce qui compte c’est l’exhaustivité. Plus l’organisation à un panorama complet des sources de crise probables plus elle pourra préparer à l’avance des solutions et une communication adaptées.
Je ne sais pas du tout si c’est déjà effectif chez eux, mais un groupe comme Mezzo Di Pasta, par exemple, a tout intérêt à imaginer les sources de crises possibles durant tout le cheminement de son produit (des champs de blé à l’assiette du consommateur) tout en mettant cela en relation avec les fournisseurs et sous-traitants qui interviennent à toutes les étapes d’élaboration de ses plats à base de pâtes.
Une fois ce recensement des sources possibles de crise effectué, une fois les solutions trouvées, il convient de simuler les conséquences d’une crise. Pour prendre un exemple catastrophique (tant qu’à faire 😉 ) : si une centrale nucléaire est capable de connaitre les conséquences d’une fuite d’un de ses réacteurs dans une rivière, alors elle sera en mesure non seulement de parer techniquement à l’incident, d’alerter convenablement la population, mais aussi d’adapter son dispositif de communication. Rien de pire, que d’envoyer une dépêche à l’AFP (donc de donner potentiellement une dimension nationale) à un incident qui sera vite résolue, dont l’impact se limitera à quelques kilomètres, et qui occasionnera peu de dégâts sur l’environnement. A l’inverse, rien de plus grave, que de se contenter d’un bref communiqué de presse, envoyé à la presse régionale et locale, pour annoncer une pollution d’envergure qui s’étendra sur des centaines de kilomètres et aura des conséquences néfastes et à long terme sur l’environnement.
Simuler les conséquences d’une crise, c’est alerter les bonnes personnes (clients, responsables, élus, usagers, médias) au bon moment mais c’est aussi donner une image responsable de l’entreprise et crédibiliser son discours. Monter une cellule de crise pour piloter et coordonner l’action. C’est la fameuse « war room ». Généralement, on se l’imagine comme étant une sorte de bunker au sein du siège social de l’organisation. En fait, il y a rarement une cellule de crise mais plutôt une multiplicité de petites cellules de crise disséminées dans tous les lieux concernés directement par la situation à gérer. Et c’est bien mieux ainsi. Une organisation faite de multiples cellules de crise décentralisées permet d’avoir un système organisationnel flexible, réactif et adaptatif. C’est aussi la meilleure façon de récupérer des informations fiables puisqu’on est au plus près du terrain. Les personnes clés dans une cellule de crise sont :
Un responsable de gestion de crise. C’est lui qui est chargé d’animer les discussions, de valider les décisions et de trancher. Il faut absolument que ce responsable soit une personne placée à un haut-niveau dans l’organisation. Dans le cas-contraire, non seulement il ne sera pas légitime mais il n’aura pas les pouvoirs nécessaires pour prendre les décisions finales.
Des experts. Bien entendu, suivant la crise, on ne fait pas forcément appel au même experts. Lorsque des cas de suicides se multiplient dans une organisation, il est évident que le DRH et le responsable de la médecine du travail font parti des experts obligatoires. Pour autant ceux qu’on retrouvent le plus souvent ce sont les experts techniques et les experts juridiques car la crise implique bien souvent ces deux dimensions.
Un responsable de la communication. Son objectif est de fluidifier au maximum tous les flux de communication. Il doit se focaliser sur la communication ascendante ; recueillir l’état de la situation sur le terrain, recueillir les retours du personnel, sur la communication descendante ; s’assurer que tout le monde reçoit les directives de la cellule de crise..
Un porte-parole. Très généralement le choix du porte-parole se porte soit sur l’expert qui a une crédibilité du fait de son statut soit sur le ou la PDG. Ce choix ne doit pas être fait par défaut. Ce rôle de porte-parole ne doit être donné au PDG que si l’on est sûr des informations et que l’on a une bonne visibilité sur la suite des événements. Sans quoi, si la parole du PDG est contre-dite c’est toute la légitimité du discours de l’entreprise qui est remise en question. Si la parole de l’expert est contre-dite, la crédibilité du PDG donc par extension, de l’organisation, est sauvée ( c’est la bonne vieille stratégie du fusible que connait parfaitement les Présidents de la République vis à vis de leur Premier ministre 😀 )

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3.2 Organiser la communication de crise.
Le plan de communication
En pleine crise, la première chose qui manque aux décideurs c’est du temps. Les choix se prennent dans l’urgence et rien de pire dans cette situation que d’avoir une communication pas ou peu réfléchie. Ce plan de communication doit donner une sorte de ligne directrice générale sur l’attitude que doit adoptée l’organisation, sur le ton du discours, les erreurs à éviter. Il doit être directement opérationnel, en lien avec les solutions adoptées, flexible et concis. Pondre un pavé de 500 pages n’a aucun intérêt. C’est le meilleur moyen pour que la cellule de crise s’en serve pour caler une chaise bancale mais pas pour prendre le temps de gérer la crise.

Avoir une vraie stratégie sur le contenu des messages.
Créer des messages pertinents qui soient en adéquation avec le plan de communication, voilà l’idée essentielle. Bien entendu cela ne peut se faire que pour les crises parfaitement prévisibles, qui ont fait l’objet d’un recensement, d’une réflexion sur la solution à mettre en place, de simulations…
Il n’est pas toujours nécessaire de se faire des nœuds au cerveau sur le message principal à transmettre. Parfois il suffit juste (mais c’est déjà pas mal) de s’en tenir scrupuleusement à la position voulue par l’entreprise (assumer en toute transparence et ne pas jouer les victimes, par exemple). Mais on peut aller aussi beaucoup plus loin en préparant tout de A à Z. Par exemple, si Orange lors de sa dernière crise en date , avait pu prévoir cette situation bien avant, alors la direction de la communication aurait pu transmettre aux médias spécialisés (type Presse citron, Zdnet par exemple) des dossiers de presse complets, déjà préparés à l’avance. Dans ces dossiers, il aurait simplement fallu mettre à jour certaines informations, transformer quelques rubriques, mais cela aurait été l’histoire de deux heures de préparation. Ces dossiers de presse auraient pu contenir un historique complet de la panne, le nombre de personnes qui travaillent à la résolution du problème, des informations pratiques pour permettre aux clients de connaitre les dispositifs d’information en place afin de connaitre la situation en temps réel…
Derrière ces solutions de communication traditionnelles, Orange aurait pu activé une rubrique sur Orange.fr qui aurait été destiné à ses clients. Et tout cela, bien sûr en coordination complète avec les services techniques, la cellule de crise, le service client, les relations presse et le pôle dédié aux médias sociaux et au site internet corporate de la marque.
Vous me direz, avec des si on peut mettre Paris en bouteille, mais les faiblesses de la gestion communicationnelle de la crise par Orange tendent à prouver que celle-ci n’avait pas prévu une telle crise et la gestion qui allait avec.

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Apprendre à connaitre les acteurs.
Construire une relation de confiance
Lors d’une crise, l’organisation a toujours à faire à des interlocuteurs privilégiés : les représentants des Pouvoirs publics, des actionnaires, des riverains, des journalistes, ses clients … Tout ces interlocuteurs auront la même attitude au cours de la crise: ils douteront du discours de l’organisation. Pour réduire ce soupçon, il faut que l’organisation noue un lien de confiance durable avec ses interlocuteurs privilégiés (d’où l’importance notamment du community management). En nouant durablement ce lien de confiance, par la participation à des événements divers et variés, par des rencontres, une présence régulière dans les médias, par un travail sérieux sur les réseaux sociaux…, l’organisation réduit les risques de soupçon donc les dangers en cas de crise. Voilà, au-passage, un argument supplémentaire pour ne pas cloisonner les différents types de communication (communication interne, externe, corporate, événementielle, digitale, relations presse…). Un vrai travail en terme de community management sur les réseaux sociaux, par exemple, permet de créer et d’entretenir cette relation de confiance donc de rendre la communication de crise plus efficace quand elle doit intervenir. De la même façon, une communication de crise bien menée, permet de renforcer un peu plus la présence de l’organisation sur les médias sociaux. Tout est interdépendant et tout fonctionne selon le principe des vases communicants. D’où l’importance d’apprendre à connaitre, d’échanger et de rencontrer en réel et/ou de façon virtuelle ses interlocuteurs. Et de ne pas attendre l’éventualité d’une crise pour le faire.

Conclusion:
La crise est un terme à la mode, reflet de notre société. C’est aussi une réalité pour toutes les organisations (entreprises, collectivités, associations, organismes). Une grande majorité d’entre elles ont été, sont ou seront un jour confrontées à un ou des épisodes de crise plus ou moins graves. Avec la mondialisation, l’explosion des normes, la judiciarisation des conflits, la rapidité de diffusion de l’information, la question n’est pas tellement de les éviter mais de réduire au maximum les chances qu’elles surviennent.
Pour autant quand la crise éclate, peu d’organisations se dotent des moyens nécessaires pour y faire face. Ainsi elles prêtent le flanc à des risques qui peuvent être catastrophiques : remise en cause de son existence dans le pire des scenarii, détérioration de son image de façon plus ou moins durable dans la majorité des cas.
La communication et la gestion de crise requiert deux choses minimales: de l’anticipation et une remise en cause constante. C’est en anticipant qu’on gère la crise et qu’on ne la subit pas. Une crise bien gérée est une crise dans laquelle l’organisation limite la casse voire même en sort grandi en ayant montré aux différents acteurs qu’elle a été capable de prendre ses responsabilités, qu’elle a su répondre aux doutes et aux soupçons de tous, qu’elle a été actrice de son destin.

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